Professeur de sociologie politique, Choukri Hmed rejoint cette rentrée le Département de sciences sociales de l’UFR SHS. Formé en sociologie, économie, science politique, histoire mais aussi en langues et civilisations arabes, ses recherches portent notamment sur les crises politiques dans les mondes arabes contemporains.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours universitaire ? D’où venez-vous ?

J’ai intégré l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) en 2007 comme maître de conférences en science politique à l’Université Paris Dauphine et chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO, qui était alors constitué de deux laboratoires, l’IRISES et le CERSO). Auparavant, j’ai été enseignant de sciences économiques et sociales en lycée pendant 7 ans puis ATER en science politique à l’Université de Tours et agrégé préparateur en sociologie à l’ENS de Paris. Ma formation croise sociologie, économie, science politique, histoire mais aussi langues et civilisations arabes. J’ai en effet longtemps hésité entre études de sciences sociales et études d’arabe, avant de me rendre compte qu’il était possible de les articuler dans mes recherches.

Quelles recherches avez-vous menées ? Sur quoi portent-elles actuellement ?

Si je devais résumer mes questions de recherche, je dirais qu’elles portent toutes sur la crise des relations entre l’État et les groupes démunis de pouvoir, dans des contextes spatio-temporels différents. Ma thèse de doctorat, que j’ai soutenue en 2006 à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, faisait la sociohistoire d’une institution d’État, la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra), entre 1950 et 2006. J’y ai étudié les façons dont les agents de l’État, à différents niveaux, avaient pensé et mis en œuvre le contrôle et l’éducation de populations immigrées à travers un type particulier de logement : les « foyers-hôtels ». C’est donc à la fois une thèse de sociologie de la socialisation, de sociologie et d’histoire de l’immigration, mais aussi de sociohistoire de l’État et des politiques publiques et de sociologie des mouvements sociaux (j’ai en effet documenté le mouvement de « grève des loyers » qui s’est a marqué toute la décennie 1970). Avec l’avènement des « printemps arabes » en 2010-2011, j’ai rapidement été exaspéré par les discours d’experts occidentaux ou arabes sur le « réveil » des peuples opprimés et le caractère « connecté » et « moderne » des jeunes révolutionnaires. J’ai profité d’un congé de recherche pour mener une vaste enquête ethnographique au sein de différents milieux sociaux en Tunisie, qui avaient participé de près ou de loin aux situations révolutionnaires. Cela m’a permis de montrer toute l’infrastructure politique et sociale de ces situations, qui n’émergeaient pas de nulle part mais n’étaient pas non plus programmées. J’ai répliqué cette enquête pendant plusieurs années, à tel point que j’ai vécu et analysé les désillusions militantes et les errements de ce que Charles Tilly appelle les « dénouements révolutionnaires ». Toutes ces enquêtes ont formé la base empirique de mon habilitation à diriger les recherches en sciences sociales que j’ai soutenue en 2019 à l’ENS de Paris. Depuis 3 ans, j’ai changé de niveau d’analyse et de milieu d’enquête, puisque je questionne la fabrique de la politique agricole tunisienne et ses multiples dépendances au système économique occidental.

Comment s’est déroulée votre arrivée à l’UFR Sciences humaines et sociales ? 

Au sein d’Université Paris Cité, j’ai rejoint le Département de sciences sociales de l’UFR SHS et le Centre de recherches en philosophie, épistémologie, sociologie et politique (Philépol). Avant même ma prise de poste officielle, j’ai pu rencontrer l’ensemble des enseignants-chercheurs et ne pas attendre la rentrée pour m’intégrer dans les équipes. Non seulement la direction de l’UFR mais aussi les différents responsables de diplômes m’ont tout de suite proposé un ensemble d’enseignements et de missions, mais ils et elles ont été très réceptives aux propositions que j’ai faites. C’est extrêmement précieux dans ces moments où l’ESR et les sciences sociales sont attaqués de toutes parts ; on sent que l’UFR est un lieu de dialogue, de solidarité et de coopération.

Quelles seront vos missions au sein de l’UFR, comme chercheur et comme professeur ?

Le poste de professeur des universités que j’occupe depuis le 1er septembre 2023 était profilé « Crises, mouvements sociaux, environnement, international ». Il me semble que ce qui était recherché à travers ce recrutement, c’était le renforcement de la sociologie politique, la sociologie des mouvements sociaux et des crises, la sociologie de l’environnement et aussi la dimension internationale. C’est donc tout naturellement que j’ai pris en charge ou proposé des cours sur les crises politiques dans les mondes arabes contemporains, la construction des problèmes publics, la sociologie des classes sociales dans le monde européen et extra-européen et la sociologie des changements de régime. J’ai rejoint l’équipe des chargés de mission auprès de la direction de l’UFR, et suis en charge des « Relations internationales », ce qui consiste à coordonner les actions en faveur de la mobilité entrante et sortante des étudiant·es et des collègues (enseignants-chercheurs et BIATSS), en Europe et ailleurs. C’est pour moi une priorité à un moment où les barrières – entre les espaces nationaux mais aussi les espaces intellectuels – se dressent et entravent la liberté de circulation.

Comment souhaitez-vous articuler vos recherches avec votre travail d’enseignement ? 

Je suis très heureux de rejoindre une UFR dont la réputation, bâtie sur une étroite articulation entre enseignement et recherche, déborde largement le cadre hexagonal. J’ai choisi d’enseigner dès la Licence 1 de sciences sociales jusqu’au master 2 (« Sociétés contemporaines » et « Sociologie d’enquête »), en proposant des cours qui sont à la fois « généralistes » et fondés sur mon travail de recherche. Par exemple, en Licence 3, j’assure le cours obligatoire de « Recherches et controverses » aux côtés de Delphine Serre, que l’on consacre à la grande question des classes sociales et de la stratification sociale dans un cadre français mais aussi international, ce qui est tout à fait original me semble-t-il. Ma spécialisation « Maghreb » et « mondes arabes » me permet aussi de traiter toutes les questions – largement sous-enseignées, comme on le montre dans le Livre blanc sur les études maghrébines en France, publié récemment avec Antoine Perrier dans le cadre des activités du GIS Moyen-Orient et mondes musulmans que je codirige[1] – de sociologie et d’histoire des sociétés maghrébines et moyen-orientales. J’espère que tout cela passionnera les étudiant·es, dont je continue d’apprendre beaucoup.

 

 

[1] http://majlis-remomm.fr/73043.

À lire aussi