Dans l’imagerie populaire, on associe volontiers le chercheur universitaire à des montagnes de papiers : articles, livres, thèses, bibliothèques, documents divers… Pourtant, suivant en cela leur époque, de plus en plus de chercheurs de sciences humaines et sociales se tournent vers l’image filmée pour proposer une autre présentation de leurs travaux. Deux laboratoires, le Ceped et le Canthel, chacun à leur façon, illustrent cette tendance qui vient bousculer les idées reçues.
C’est en 2013 que le Centre de population & développement lance la première séance du Ceped fait son cinéma, une initiative qui, depuis, propose, plusieurs fois par an, dans la salle de conférence du CUSP, la projection d’un documentaire de recherche d’une quarantaine de minutes, filmé sur le terrain par les chercheurs eux-mêmes. « Face au constat que l’audiovisuel est de plus en plus utilisé par les chercheurs pour proposer une autre présentation de la recherche, Le Ceped fait son cinéma était à la fois un moyen de valoriser la recherche et l’occasion de s’adresser à un autre public : les chercheurs et les étudiants, bien sûr, mais aussi le « grand public », des gens qui s’intéressent aux questions que l’on pose, mais sans faire partie du monde de la recherche », explique Agnès Guillaume, la responsable du pôle d’information et d’animation scientifique (PIAS) du Ceped.
Avec 6 ans d’existence et 20 films au compteur, la formule concoctée par Agnès Guillaume et un comité de pilotage (Véronique Duchesne, Marc Pilon, Mathieu Quet) est bien rodée : le chercheur introduit le contexte du film (le pourquoi du sujet, les conditions de tournage, les moyens déployés, les objectifs, etc.), puis, après la projection proprement dite, un discutant, spécialiste du thème, partage ses observations, propose une analyse et lance le débat avec la salle.
Au départ les films présentés étaient surtout réalisés par des chercheurs du Ceped : anthropologues, sociologues, linguistes, démographes, tout en restant dans la thématique propre au laboratoire. À partir de 2014, Le Ceped fait son cinéma s’est également élargi à des chercheurs venus d’autres universités, voire d’autres pays, comme le Québec ou la Côte d’Ivoire. « Je pense, conclu Agnès Guillaume, l’image est un média qui va se développer dans l’avenir avec le développement des nouvelles technologies, un autre moyen de rendre compte d’une réalité sociale pour les chercheurs. Cela donne d’autres grilles de lecture de la réalité sociale, d’autres façons de la percevoir, de l’interpréter et de la comprendre, mais il faut que cela ait du sens scientifique, que le propos soit construit et scénarisé. En fait, ça reste complémentaire de l’écrit. »
Une appréciation que ne renierait certainement pas Erwan Dianteill, professeur d’anthropologie, chercheur au laboratoire Canthel et responsable, avec Francis Affergan, de la revue d’anthropologie culturelle et sociale cArgo. « Depuis son origine, la revue, qui sort à la fois sous un format papier et un format électronique, propose une iconographie de terrain avec les photos prises par les chercheurs eux-mêmes pour compléter le texte. C’est donc à la fois discursif et visuel, car j’ai toujours été convaincu par la fertilité de la combinaison textes/images », commente-t-il.
En 2015, les deux rédacteurs en chef de cArgo décident d’aller plus loin en créant un département de films ethnographiques associés à des textes, le tout hébergé sur la version en ligne de la revue. « Il existe quantité de festivals de films ethnographiques qui demandent un très haut niveau de maîtrise technique, explique Erwan Dianteill. Mais les films de qualité technique moindre n’y passent pas. Ce sont ces films-là que nous voulions héberger. Dans les instances universitaires, il n’y a pas assez de valorisation de ces productions, parce qu’il n’y a pas réellement de regard scientifique porté dessus. C’est à ce travail que nous nous sommes attachés. »
Car, dans l’esprit d’Erwan Dianteill, les textes qui accompagnent les films proposés ne sauraient être de simples redites de ce que l’on voit à l’écran, mais des compléments dont l’association possède une vraie valeur de recherche : « De la même manière que les films que nous publions sont contrôlés par le comité de lecture, les textes en regard ont toutes les caractéristiques d’un article scientifique. » Une volonté qui s’explique aussi par le fait que les films sont pour lui « un autre mode de connaissance, avec un impact sensible, perceptif. Or, comme dirait Kant, l’entendement, c’est autre chose que la sensibilité. Les textes associés aux films révèlent aussi les « angles morts » des films, ce qu’ils n’ont pas pu montrer ou expliquer. Au final, textes et films sont complémentaires, même si les deux sont visibles séparément. »
Au début de l’année prochaine, les films de cArgo, accueilleront un nouveau film, le 4ème de la série, La danse du fonio, d’Alfonso Castellanos.